Loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante

Catherine Carte-Bocquillon,
Levent Kilic
Loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante

L'essentiel

La loi du 14 février 2022 dote de plein droit tous les entrepreneurs individuels de deux patrimoines distincts à compter du 15 mai 2022. En conséquence, le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel est automatiquement à l’abri des poursuites des créanciers professionnels.
Le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) a vocation à disparaître à l’avenir.

1.    Les raisons de la réforme et date d’entrée en vigueur :


Avant cette loi, l’entrepreneur individuel avait un patrimoine unique englobant l’ensemble de ses biens et dettes personnels et professionnels. À l’exception de la résidence principale, insaisissable de plein droit, il engageait juridiquement tout son patrimoine personnel pour la liquidation des dettes professionnelles.


Le risque juridique de l’entrepreneur individuel sur son patrimoine étant élevé, le législateur a instauré plusieurs techniques permettant de contourner ou de déroger au principe de l’unité du patrimoine. Le législateur a d’abord créé la société unipersonnelle (EURL), mais les créanciers trouvèrent la parade avec le cautionnement permettant de faire tomber l’écran de la personnalité morale. Puis, il a permis à l’entrepreneur individuel de protéger ses biens immobiliers par le biais d’une déclaration d’insaisissabilité auprès d’un notaire. Ce dispositif n’a pas eu le succès escompté. Enfin, la loi du 15 juin 2010 permet l’option pour le statut l'EIRL basé sur la création d'un patrimoine professionnel séparé. Dans ce schéma, les droits de poursuite des créanciers professionnels sont cantonnés au patrimoine professionnel de l’EIRL. Les biens non affectés au patrimoine professionnel sont à l’abri des poursuites des créanciers professionnels. Cependant, l’EIRL, du fait de sa complexité, n’a pas non plus eu le succès escompté auprès des entrepreneurs individuels (moins de 100 000 EIRL en 2021). Le respect d’un lourd formalisme de déclaration d’affectation des biens dans un patrimoine professionnel n’y est sans doute pas étranger.


La loi du 14 février 2022 vise à permettre à l’entrepreneur individuel de bénéficier de la même protection que l’EIRL sur son patrimoine personnel tout en le dispensant du formalisme propre à l’EIRL. C’est là l’apport majeur de cette loi : instaurer un EIRL sans formalités.


La loi entre en vigueur à compter du 15 mai 2022.

 

2.    Les points clés de la loi du 14 février 2022


Définition de l’entrepreneur individuel

La loi instaure un nouveau statut unique d’entrepreneur individuel, défini comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes » (C.Com., art. L. 526-22).


Scission des patrimoines professionnel et personnel

La loi prévoit, sans création de personne morale, la séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.


Le patrimoine professionnel, gage des créanciers professionnels

Le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est composé des biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation.


Les articles 2284 et 2285 du Code civil consacrent le droit de gage général du créancier sur le patrimoine du débiteur.


Par dérogation au droit de gage général, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers professionnels que sur son seul patrimoine professionnel.


Le patrimoine personnel, gage des créanciers personnels

Le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel est constitué par les éléments non compris dans son patrimoine professionnel. Seul le patrimoine personnel constitue le gage général des créanciers personnels. Cependant, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos.


Interdiction de s’auto-cautionner, mais autorisation de renoncer à la division des patrimoines

La séparation des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est le débiteur principal. Cependant, il peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer au bénéfice de la protection résultant de la scission des patrimoines. Cette renonciation est strictement encadrée par deux règles classiques de protection du droit de la consommation que sont le formalisme et l’information. Tout d’abord, la renonciation doit être écrite. Ensuite, l’entrepreneur dispose d’un délai de réflexion de 7 jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation. Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature de la mention manuscrite énoncée par décret et uniquement de celle-ci, le délai de réflexion est réduit à 3 jours francs.

L’avenir de l’EIRL


Le statut de l’EIRL est mis en extinction progressive. Depuis le 15 février 2022, il est interdit de créer un EIRL pour exercer son activité professionnelle. Cela étant, le statut d’EIRL n’est abrogé que pour l’avenir. Il y a maintien des EIRL préexistants. Les entrepreneurs individuels exerçant déjà leur activité sous le régime de l’EIRL à la date de publication de la loi pourront conserver leur statut. Les EIRL vont donc subsister pour quelques années, mais deviennent une espèce en voie d’extinction.


3.    Appréciation critique de la loi du 14 février 2022

Atteinte au principe de l’unité du patrimoine et efficacité sujette à caution

Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel remet en cause le principe fondamental de l’unité du patrimoine dans notre droit. Or, ce principe était un levier majeur de la capacité de l’entrepreneur individuel de lever des fonds pour son entreprise. Sur ce plan, compte tenu du moindre gage offert au banquier prêteur de fonds pour l’entreprise, on peut prédire que l’accès de l’entrepreneur individuel au crédit sera limité. La protection juridique complète du patrimoine de l’entrepreneur individuel est incompatible avec le risque inhérent à l’activité professionnelle indépendante. Nul doute que le banquier prêteur de fonds pour l’entreprise qui se retrouve face à un patrimoine professionnel insuffisant subordonnera l’octroi du crédit à la renonciation par l’entrepreneur individuel à la scission du patrimoine, ce qui revient en définitive à une absence totale de protection. À trop vouloir protéger, la loi risque donc d’être contreproductive sur la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel.


Un nouveau statut d’entrepreneur individuel diminutif et doublon de l’EIRL

Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel ressemble fortement à l’EIRL avec le même objectif de responsabilité limitée. Mais il y a un allègement des formalités. Le législateur créé donc un EIRL sans formalité et sans réelle limitation de risque.


En outre, il y a doublon avec l’EIRL et coexistence des deux statuts d’entrepreneur individuel. Il aurait sans doute été plus simple d’améliorer le statut d’EIRL existant en simplifiant le formalisme qui lui est applicable.